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FANFARES FUNÉRAILLES

PARADE AU BORD DES MONDES…

Par Virginie Dupray


Juillet 2014, une route poudreuse de Lubunga, l’une des six communes de Kisangani, un milieu d’après-midi… Le soleil tape, les fronts suent, un groupe apparaît au loin, des mamans à pied, une bassine sur la tête, des taxis motos et vélos désoeuvrés, des enfants de tous les âges…

Une route poudreuse d’où monte le son d’une fanfare, pas une fanfare rutilante et victorieuse, non plutôt un son cabossé aux cuivres éteints et rafistolés, où se glissent ça et là quelques fausses notes, de ces fanfares que l’on convie au Congo aux mariages et aux enterrements, de celles qui rythment la vie des gens et leurs prières, fragiles et belles comme l’espérance tenace d’un peuple à qui l’on a tout fait…

Une route poudreuse et quatre hommes tirés à quatre épingles malgré le soleil et la poussière, sérieusement sapés, quatre hommes qui esquissent des pas de danse, défilent, friment, exhibent les étiquettes et les marques. Quatre hommes que tout le quartier commente et accompagne…

« Des fous, c’est sûr, mais des fous si bien habillés ? »

En République démocratique du Congo, on respecte l’habit, infiniment… tout en sachant pourtant qu’il ne fait pas le moine. Mais de ce côté-ci du monde, ou plutôt dans les parages d’un monde dont les Congolais ne font pas partie, la vie n’est-elle pas cette pantomime où le plus bel habit vous assurera le premier rôle, le devant de la scène, avec à la clé quelques moyens peut-être et pourquoi pas un visa, pour le monde, le vrai ?

Mais revenons à Lubunga, très très loin du monde donc, à la poussière et à ces hommes élégants qui se pavanent.

« Bienvenue à ce spectacle ! », clame Shoggy ganté de blanc.

« Ah, c’est un spectacle… » et le spectacle peut commencer.

« Que ferais-tu si tu devais mourir demain ? »  La question rythme le texte écrit par Dorine Mokha.

Car Fanfares funérailles de Papy Ebotani est bien un spectacle sur la mort, ou plutôt sur comment elle s’invite dans le quotidien des Congolais, ponctuant les semaines comme les veillées de prière.

Une mort événement qui rend hommage à celui qui part pour mieux célébrer ceux qui restent, la famille, le clan, ceux-là même qui n’avaient pas trouvé 50 ou 100 dollars pour soigner le disparu dépenseront dix ou vingt fois plus pour organiser le deuil.

Tout le quartier est invité. Les deuils sortent désormais des parcelles privées pour investir l’espace public, on loue un carrefour, une salle polyvalente, on plante une tente, une sono braille des chants chrétiens, le cadre est dressé. Mais ce n’est pas tant la mort que l’on expose, non, c’est la vie qui est mise en scène. Le deuil devient ce spectacle où se pressent les pleureuses, les élégants, les pique-assiettes, les derniers pagnes et les commérages, la vie se réinvite et reprend le dessus, la vie se réinvente en communauté…

Le spectacle a commencé depuis un bon quart d’heure quand un petit vent se lève menaçant, avant que la pluie ne s’abatte, des trombes d’eau, la communauté se disperse, on se réfugie sous un abris, un toit, un plastique… Yafali, le régisseur technique des Studios Kabako, court pour couvrir les micros, le vent emporte une pancarte, mais le spectacle continue, Shoggy et Gaylor se cassent la voix pour se faire entendre sous la pluie, les vêtements dégoulinent, Papy danse dans la boue, une maman compatissante couvre les quatre musiciens d’un parasol branlant.

Puis la pluie s’arrête aussi soudainement qu’elle est tombée, la communauté se reforme…

Quelques jours plus tard, le quartier de la Tshopo… Il fait déjà nuit, une main malintentionnée débranche le générateur, longues minutes d’obscurité, mais le spectacle continue.  On rebranche, la lumière revient, personne n’a bougé.

Fanfares funérailles est là, dans cette manière de poser un cadre dans un environnement mouvant et incertain, de tenir cette parole, cette position en dépit de tout, de ce public qui bavarde, de cet enfant qui traverse, de cette pluie qui transperce, de ce soleil qui assomme, de ce micro qui se débranche car quelqu’un s’est pris les pieds dedans, de rester debout dans ce pays qui n’en finit pas de sombrer…

Enfin, il faut évoquer la danse de Papy, l’opacité de sa présence qui cache les questions et les espoirs d’un pays, cette densité du corps où se noie le regard, cette précision du mouvement qui cisèle l’espace et ramène soudain le centre là, juste là, en cet instant-là, et réconcilie les mondes.


Déambulation poétique imaginée en 2014 par Papy Ebotani, Fanfares funérailles a investi rues, cours et places de Kisangani à Kinshasa, de Kigali à Bujumbura, de Sharjah à Paris…

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