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KIN-ADDIS

INVESTIR UN TERRITOIRE URBAIN

par Sylvain Prunenec*

Investir un territoire, c’est le nommer, par une danse, une couleur, donc l’identifier, pouvoir le cerner, c’est-à-dire le mesurer, ce qui permet d’en sortir, de s’en échapper et d’aller visiter les territoires des autres.
Comment ainsi inventer avec le corps de nouvelles unités de mesure à l’égal des premières mesures inventées par les hommes : le pas, le pouce, la coudée ? Lors de cette première résidence à Kinshasa, on s’est amusé à imaginer d’autres unités : le crachat, porter quelqu’un sur son dos, l’appel – pour pouvoir communiquer dans cet espace très vaste, nous devons crier nos noms, l’appel devient ainsi une façon de mesurer le territoire…
Les notions de territoires sont étroitement liées dans le travail de Faustin à la mémoire, nous avons donc trouvé intéressant de faire du territoire une piste de départ dans le travail. Le territoire est d’ailleurs une notion extrêmement vaste : on n‘est jamais dans un seul territoire, on passe sans cesse d’un territoire à un autre, même dans la vie, du territoire familial au territoire social ou politique…
Concrètement, nous avons proposé à chacun des danseurs de choisir un endroit, de se l’approprier et de proposer aux autres une manière d’habiter cet endroit. Nous nous sommes ainsi invités les uns et les autres dans ces différentes « maisons ».
Puis est intervenu le travail du son, en associant un son à chaque territoire comme pour le nommer ou le mesurer. Addisu travaillait avec des bouts de ferraille, en les jetant sur le ciment, il a créé un son associé à un temps particulier. Djodjo, qui avait choisi un petit espace entre deux murs où l’on stockait les caisses de bouteilles vides, a travaillé sur un son répétitif de frottement de deux bouteilles l’une contre l’autre... À Kinshasa, il y a aussi cet oiseau qui chante des mélodies très précises qui me font penser à Tchaïkovski.
Qu’est-ce que raconte le son ? En Éthiopie, j’avais travaillé sur l’image avec l’idée de prélever des signes pour les ramener, puis je me suis rendu compte a posteriori que l’image était trop forte ou trop explicite. Dans notre société gavée de télévision, notre manière de percevoir l’image restreint peut-être le propos de l’image elle-même. Le son, au contraire, ouvre des univers plus larges. Pour moi, le son, c’est moins l’idée de la mémoire, que celle de la mesure, comme une sorte de forage, un prélèvement pour dater les différentes couches, c’est l’idée d’intervalle qui me plaît, calculer des intervalles… Je souhaite lors de la seconde résidence à Addis pouvoir expatrier ces territoires sonores : saisir des fragments et les déplacer à un autre endroit, comme pour donner une mesure de l’endroit d’où l’on vient et dans lequel on a travaillé.


*Sylvain Prunenec est chorégraphe et danseur, directeur artistique de l’association du 48.

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